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[HUMEUR] Seconde Guerre Mondiale et Shoah : pourquoi est-il si important de se souvenir ?

Quand les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale ressurgissent dans nos mémoires

Camp de concentration
Camp de concentration : tas de chaussures pris aux déportés (source : Arte)

Article que je voulais écrire depuis longtemps, mais que j’ai mis du temps à faire aboutir. Après avoir abordé un sujet joyeux (hum, désolée pour le jeu de mots), je souhaitais te parler de cette période cauchemardesque qu’est la Seconde Guerre Mondiale. Je sais que ce n’est pas très post-Imaginales (26-29 mai 2016), mais le sujet mérite qu’on y revienne (article initialement du 4 juin 2016).

Mise à jour du 25 juin 2016 (post-Brexit) : je profite pour remettre cet article en actualité et vous enjoins à lire l’article de Dominique Lémuri sur son site.

Pourquoi avoir choisi un sujet aussi glauque ? me demanderas-tu. Tout simplement parce qu’il y a des images qui ne s’effacent pas, malgré sept décades et le passage à un nouveau siècle. Parce que malgré ces images, des atrocités continuent à être perpétrées dans le monde de nos jours (ex. guerre en Syrie). Les journaux télévisés sont truffés de violences, de corps sans vie arrivant sur les plages méditerranéennes. Je pense en particulier aux chaînes d’info continue, telles que BFMTV et iTélé. Le droit de suite n’est plus systématiquement de mise, un conflit en chassant un autre sur nos écrans, surtout lorsque ce dernier se déroule à l’autre bout de la planète.

La guerre d’aujourd’hui est celle des images.

Dans un monde où tout se sait et surtout, où tout se montre, les images de cette violence lointaine (ex. Nord-Kivu en République Démocratique du Congo) n’ont presque plus d’impact sur nos propres vies. Elles glissent sur nous au fil des jours, gommant nos dernières rugosités, celles que l’on appelait encore récemment empathie, un sujet d’ailleurs abordé d’une manière admirable dans le roman de Philip K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

Et ce n’est pas la prise de médicaments qui va nous aider à mieux comprendre les maux de notre prochain (article du 12 mai 2016 sur les conséquences des antalgiques sur la réduction de l’empathie).

Pourtant, souviens-toi de ces manifestations violentes aux États-Unis lorsque les premières images de la guerre du Viêt-nam (1955-1975) sont arrivées sur les petits écrans.

Mais aujourd’hui, avec l’accroissement du sentiment général d’insécurité, de la banalisation de la violence, notre tolérance devant l’horreur augmente. Rappelle-toi dans quel état émotionnel tu étais lors des attentats de Paris fin 2015. Tu t’en souviens ? Et quand d’autres attentats se sont produits à Bruxelles début 2016, étais-tu aussi remué(e) ?

Je veux juste te mettre en garde contre notre indifférence grandissante.

J’ai sûrement tort à bien des égards. Il est normal que tu te mobilises pour des causes qui te touches directement, qui affectent ton mode de vie. Donc tu te blindes, tu te forges une carapace pour affronter ta propre existence. Mon but n’est pas de te blâmer. Tu as raison de t’engager dans des luttes dans lesquelles tu pourras vraiment prendre part.

Je suis dans le même état que toi. Et je porte actuellement ma plus belle carapace.

Ainsi, comme pour expier notre indifférence contemporaine concernant les guerres géographiquement lointaines, nous nous raccrochons à ce que nous connaissons le mieux, à ce sur quoi nous avons le plus de recul.

Dès que nous en avons l’occasion, nous commémorons les horreurs de ce passé historiquement lointain, mais qui a tout une même eu un impact sur nos vies. Au moins un de tes grands-parents a pu être emporté par cet événement, ou bien a-t-il pu t’en raconter des bribes. Et avec l’âge avancé des derniers témoins, cette histoire s’efface comme une trace de pied sur le sable, emportée par une vague.

C’est pour cela qu’il est important de ce souvenir de la Shoah, de l’extermination systématique dans les camps de la mort de ces millions de personnes, ces juifs, ces homosexuels, ces gens du voyage, ces malades mentaux, ces handicapés physiques. De tout ceux qui ne correspondaient pas à l’idéal d’Hitler.

Mais un jour, cela devient plus personnel.

Ma première confrontation avec la Seconde Guerre Mondiale remonte à 1995. J’avais dix ans, on commémorait justement le cinquantième anniversaire de l’Armistice. Comme on le fait habituellement dans les écoles, nos instituteurs nous avaient fait réaliser un dossier thématique. Ils nous avaient aussi emmenés au musée de la ville, dont la dernière exposition temporaire relatait les événements majeurs de la guerre qui s’étaient déroulés dans la région. Je me souviens surtout des équipements des soldats, pour lutter notamment contre le gaz, des armes, de la Résistance, bref, de tous les moyens qu’avaient utilisés les Alliés pour gagner contre le Nazisme. J’était ressortie de l’exposition avec un sentiment de triomphe, fière de ce qu’avaient accompli nos aïeux.

Ma deuxième confrontation fut douce-amère. L’été de la même année, avec mes parents nous sommes partis en vacances en Alsace. Entre la visite d’un château-fort, d’un écomusée avec de vraies cigognes et une part de flàmmeküeche, ils nous ont emmenés voir le camp de concentration de Struthof. La seule chose que j’avais trouvée à faire en sortant, ce fut d’accrocher une pâquerette au grillage du camp.

Une des images qui m’avait vraiment frappée lors de cette visite de Struthof, et que j’ai utilisée dans Rêves d’Utica, a été le tri systématique des effets personnels des personnes envoyées dans ce camp. Comme si l’entièreté de leur vie se résumait à quelques objets, soigneusement rangés et consignés par une administration pointilleuse. La mort avait pris un visage de chirurgien : précis, efficace, consciencieux. De quoi me glacer les sangs pour longtemps.

Je te renvoie aussi à la lecture d’un article récent (17 mai 2016) concernant la découverte de bijoux dissimulés dans une tasse à Auschwitz, que la science a révélé soixante-dix ans plus tard. Un formidable pied-de-nez fait à cette administration meurtrière.

Ma troisième confrontation fut plus tardive, lorsque les profs d’histoire et de littérature française et allemande aux collège-lycée nous ensevelissent sous une montagne de sujets tous plus drôles les uns que les autres : les catastrophes nucléaires (notamment Tchernobyl), les enfants battus, les sans-domicile-fixe, et bien sûr les guerres (de Trente ans, de 1870 et enfin les deux Guerres Mondiales) avec en particulier, les camps de la mort. « C’était bien ta journée, ma chérie ? Tu t’es bien amusée à l’école ? »

En cours, j’ai pu notamment lire des romans formidables tels que Le liseur de Bernhard SchlinkSi c’est un homme de Primo Levi  et Le joueur d’échec de Stefan Zweig. Depuis, j’ai tout lu de ce dernier auteur, en VF et en VO, et je me régale encore. J’ai pu visionner des films tels que La Rose blanche de Michael Verhoeven. Tu sais, l’histoire de ces gentils enfants Scholl, auxquels on est obligé de s’identifier quand on est ado ? Et bien sûr Nacht und Nebel d’Alain Resnais, du nom de code donné à la répression contre toute infraction commise contre le Troisième Reich. Lors de la projection de ce film, j’ai dû sortir du cours tellement je me sentais mal.

Et puis, on grandit et on interroge les anciens : des arrières-grands-parents obligés de vendre leurs terres contre des sacs de patates ; puis leur fuite en Zone libre ; un grand-père petit garçon prenant l’accent chantant du sud alors qu’il venait très loin au nord ; une grand-mère couchée dans le pré avec sa propre mère, alors que les avions allemands passaient au-dessus d’elles ; leur maison réquisitionnées par les généraux nazis ; les heures à tricoter des écharpes pour les prisonniers de guerre dont son père faisait partie. ll y eut aussi de belles histoires pendant la guerre, des histoires d’amour qui ont ensuite duré une soixantaine d’années, avec seulement la mort pour briser les serments. Et pour ce qui est de la Première Guerre, un arrière-grand-père, resté quelque part à Verdun, dont on fête le centenaire cette année 2016 . Un hommage particulier à mes grands-parents et à tous les anciens qui ont su rester dignes malgré ces heures sombres.

Ne pas oublier les drames de l’Histoire, les transmuter, en toute sincérité.

Le message que je voulais faire passer dans cet article, c’est qu’on n’écrit jamais sur des thèmes au hasard. Les oeuvres de fictions comportent toujours des événements qui ont marqué la vie de leurs auteurs. Qu’il s’agisse d’une histoire personnelle ou d’un épisode de la grande Histoire, il aura toujours un moment où cet événement resurgira. On aura beau le tordre, le dissimuler ou le maquiller, il sera impossible de le faire disparaître totalement. Je ne sais pas comment mieux l’exprimer. C’est en nous, cela nous travaille et un jour cela ressort. On se sent dans l’obligation d’en parler, d’une manière ou d’une autre, quel que soit le support ou la forme.

Le plus important est de rester sincère dans sa démarche, de ne pas travestir l’essence de l’événement qui nous a tant marqué, de lui donner toute la portée nécessaire afin de permettre la réflexion, l’émotion et le recueillement. Et surtout, lorsqu’il s’agit de faits aussi graves que celui de la Shoah, d’éviter à tout prix toute récupération ou glorification personnelle.

On peut parler de tout. Mais aborder un sujet difficile ne nous rend pas forcément meilleur.

2 réflexions sur « [HUMEUR] Seconde Guerre Mondiale et Shoah : pourquoi est-il si important de se souvenir ? »

  1. Le sujet de la deuxième guerre mondiale est à la fois passionnant et terrifiant. Il est un miroir de ce que nos civilisations, il n’y a pas si longtemps, ont été capable de faire, en bien et en mal. Je pense comme toi que ce sujet n’a pas à disparaitre dans les méandres de l’Histoire mais doit rester bien présent à l’heure où la tentation du repli sur soi est plus forte que jamais, sans même parler de théories extrémistes nauséabondes.
    Je vais décidément suivre ton blog ! ^^

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    1. Merci pour ton message, Dominique, cela me touche beaucoup !
      C’est quand même terrible de se dire qu’on voit la catastrophe arriver, au galop même, mais qu’on ne peut rien y changer. Parfois je me fais peur.
      L’article avait été écrit en réponse à un tout autre coup de gueule, mais qui relevait aussi de l’étroitesse de vue. Je suis vraiment horripilée par ce qui se passe à notre époque. On a tout pour être heureux, faire le bien autour de nous, on n’a jamais autant communiqué, mais de plus en plus mal. La seule chose dont nous sommes capables, c’est de casser le jouet pour lequel on a mis tant de temps à comprendre le fonctionnement. Comme des enfants gâtés.

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